Pages de Jean Kempf — Université Lumière - Lyon 2 — Département d'études du monde anglophone
Atelier Amérique du Nord
Les défis de l'Amérique coloniale
26 février 2015

  compte rendu par Héléna Bazin
  • Intervention de Bertrand Van Ruymbeke (Université Paris 8)


Bertrand Van Ruymbeke, historien à l'université Paris 8 et auteur du livre L'Amérique avant les Etats-Unis : une histoire de l'Amérique anglaise (1497 - 1776), a fait sa thèse sur les réfugiés calvinistes français (Huguenots) en Caroline du nord dans les années 1770. Il s'était à cette occasion posé la question de la migration, de la diaspora, et surtout de la construction d'une colonie à travers l'extension de l'influence anglaise en Amérique du nord (établissement des institutions politiques et de l'Eglise, relations avec les Amérindiens et avec Londres, culture d'exportation...). Ce sont ces questions qu'il développe aujourd'hui dans son nouveau livre, en se démarquant des questionnements habituels centrés sur la Nouvelle Angleterre et le Puritanisme.
Durant cette intervention, Bertrand Van Ruymbeke a expliqué l'écriture de son livre, nous donnant ainsi à voir les coulisses de l'ouvrage, au départ une commande de l'éditeur.

Ecrire est une question de choix :
• Quel(s) sujet(s) traiter et comment ?
• Quelle périodisation adopter ? Devait-il commencer en 1620, lorsque les premiers Pélerins abordèrent les côtes du Massachusetts à bord du Mayflower, ou devait-il remonter encore plus loin, à la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb en 1492 ? De même, quand devait-il s'arrêter ? En 1776, lorsque les treize colonies signèrent la Déclaration d'indépendance, ou en 1783, avec le Traité de Paris qui mit un terme à la guerre ? Finalement, Bertrand Van Ruymbeke décide de se focaliser sur la période qui s'étend de 1497 (découverte des côtes de la Nouvelle Angleterre par John Cabot) à 1766 (fin de la crise du Stamp act), tout en ajoutant un épilogue sur la Déclaration d'indépendance de 1776.
• Ensuite, est-il question de l'histoire de l'Amérique anglaise ou d'un espace géographique qui va de Terre Neuve à la Floride ? L'auteur nous dit qu'il a souhaiter traiter l'extension territoriale qui mène à la création d'un pays.
• Et enfin, quelle approche adopter (géographique, chronologique ou thématique) ? La première partie de l'ouvrage s'avère être un panorama chronologique de l'évolution des treize colonies, la deuxième en est plutôt une étude thématique, et la troisième revient au déroulé chronologique des événements qui précédèrent l'indépendance.

Mais pour comprendre cette période et ses enjeux, il faut bien garder certains points à l'esprit. Bertrand Van Ruymbeke insiste sur la primordialité de l'espace. Bien que les treize colonies soient relativement rapprochées les unes des autres sur le plan géographique, il apparaît qu'elles avaient en réalité moins de contact entre elles qu'indépendamment avec Londres. D'où une certaine notion d'insularité. Cette distance a eu des conséquences démographiques et culturelles déterminantes alors que l'Amérique du nord était en train de se construire sous la tutelle anglaise. A cette époque, l'empire anglais est avant tout commercial plus que véritablement territorial. Ceci explique la volonté pour Londres de contrôler les voies de navigation et d'imposer des lois sur les échanges pour réglementer le commerce avec l'Amérique. Toutefois, la colonisation et l'application de cette influence se fait par délégation : il n'y aucun parlementaire anglais envoyé en Amérique pour constater l'application des lois ou les prémices d'un soulèvement indépendantiste. Enfin, l'acceptation des Amérindiens ou de la diversité religieuse n'est en vérité qu'un leurre. Dans les faits, l'héritage voltairien de tolérance n'est que rarement respecté.

Bertrand Van Ruymbeke explique enfin en quoi le 18ème siècle en Amérique se différencie clairement du 17ème. Cette rupture avec le passé prend plusieurs aspects. En effet, les Anglais arrivent tardivement dans la course à l'Amérique mais en sortent vainqueurs face aux Français, aux Espagnols et aux Hollandais. L'Amérique naît donc anglaise mais grandit britannique (Consolidating Act of Welsh union - 1543 -, Scottish Act of union - 1707 - et Irish Act of union - 1801). Progressivement, les colons deviennent propriétaires. L'occupation du territoire américain prend dès lors trois formes bien distinctes : de vastes plantations dans la Chesapeake, des villages plus industriels dans la Nouvelle Angleterre, et l'arrière pays ("Frontier"). L'Amérique se construit donc comme une fusion de ces trois modèles aux caractéristiques propres. Enfin, si l'évangélisation des Amérindiens s'est soldée par un échec, cela ne veut pour autant pas dire qu'il n'y a pas eu de tentative. Mais, pour le coup, c'est plutôt le phénomène inverse qui s'est produit. Grâce à son travail de recherche, Bertrand Van Ruymbeke constate qu'il y a eu une mutation identitaire, mais dans le sens d'une créolisation de la culture d'élite. A partir de ce moment-là, on assiste à un essor des assemblées coloniales. L'indépendance n'est pourtant pas à l'ordre du jour. Jusque tardivement en 1776, l'indépendance reste un rêve américain partagé par seulement un tiers de la poplation. Les autres ne veulent pas un status quo, mais espèrent cependant que des négociations ouvriront la voie à une amélioration de leur situation. La ratification de la Déclaration d'indépendance le 2 juillet 1776 est donc une immense surprise.

  • Intervention de Sara Watson (Lyon 2)

Sara Watson, doctorante en civilisation américaine à l'ENS Lyon, nous propose de nous interroger sur le lien qui existe entre dissidence religieuse et désobéissance civile dans l'Amérique du 18ème siècle. En citant les noms de John Milton, John Dickinson, William Knox ou encore Jonathan Mayhew, Sara Watson démontre que la résistance politique est basée sur la dissidence religieuse. En effet, déjà dans l'Angleterre du 18ème siècle, l'autorité politique et le pouvoir religieux sont étroitement liés : le souverain est à la fois à la tête de l'Etat (bien que la plupart des décisions reviennent au Parlement) et à la tête de l'Eglise anglicane. L'instauration de cette dernière en Amérique traduit d'ailleurs une recherche d'homogénéité en tentant de minimiser, sinon d'effacer, la diversité culturelle qui est la caractéristique essentielle de ce nouveau territoire. Cela permet, entre autres mesures, d'assurer l'emprise de Londres sur les colonies. Dans les textes fondateurs des Etats-Unis, il est justement souvent question de la pureté des origines, en référence à la foi exportée de la métropole anglaise.
Mais la multiplicité des identités religieuses en Amérique du nord pose la question de la dissidence. Comment les anglais fraîchement arrivés peuvent-ils prétendre à imposer leur religion aux natifs aux confessions diverses ? Cela soulève le débat du républicanisme, et de comment trouver un juste milieu entre exclusion et intégration des Amérindiens.
Jonathan Mayhew invite ses lecteurs à se rebeller contre les lois injustes (telles que le Stamp act ou l'oppression religieuse). De la même manière, John Woolman (un Quaker) prône la résistance fiscale pendant la Guerre de Sept ans (ce qui limiterait le financement des forces armées anglaises) et s'oppose férocement à l'esclavage.
En adoptant la désobéissance civile au détriment de la violence, nombreux sont ceux qui se sont opposés à la puissance anglaise au nom de leur liberté religieuse. Il apparaît ainsi que la loi ne devrait pas exister en dehors d'un système de conscience qui permette de reconnaître si elle est injuste et donc s'y opposer.




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